HISTOIRE - René BRIDEAU

 

Le 98 Squadron RAF à Château-Bougon (Nantes)

16 avril 1940 – 16 juin 1940

 

Par René BRIDEAU

ARRIVEE DU 98 SQUADRON RAF

            Pendant la Seconde Guerre Mondiale l’aérodrome de Château-Bougon fut une base de la Royal Air Force pendant quelques mois. Le 98 Squadron RAF (Code VO), en provenance de la base de la RAF de Finningley (Yorkshire) commandé par le Group Captain Richard Beauchamp MAYCOCK, était arrivé à Château-Bougon le 16 avril 1940 avec 16 avions Fairey Battle I, le dernier ayant atterri à 16 h 30. Ces bombardiers légers servaient aussi pour la reconnaissance. Le Fairey Battle I comptait trois membres d’équipage : Pilot, Air Observer et Air Gunner. Il était armé seulement de 2 mitrailleuses de calibre 303 (7,7 mm) – une dans l’aile droite, l’autre à l’arrière, une Vickers servie par l’Air Gunner. Les Fairey Battle I ne faisaient pas le poids face aux avions de la Luftwaffe plus modernes et mieux armés, et nombre d’entre eux seront abattus en 1939 et 1940.

 

Les 16 Fairey Battle I arrivés à Château-Bougon le 16 avril 1940

Fairey Battle I

K9199

Sergeant

WINSTANLEY

Fairey Battle I

K9201

Flight Lieutenant

LEGGATE

Fairey Battle I

K9202

Flying Officer

KEROHER

Fairey Battle I

K9210

Pilot Officer

WAWKINS

Fairey Battle I

K9211

Sergeant

TURNBULL

Fairey Battle I

K9213

Pilot Officer

HUNTER

Fairey Battle I

K9215

Pilot Officer

ELLIOT

Fairey Battle I

K9218

Pilot Officer

ROUND

Fairey Battle I

K9219

Pilot Officer

WILCOX

Fairey Battle I

K9229

Flight Lieutenant

FOWLER

Fairey Battle I

K9365

Pilot Officer

RAFTER

Fairey Battle I

K9386

Flight Lieutenant

BLOME - JONES

Fairey Battle I

K9414

Wing Commander

ASHTON

Fairey Battle I

K9421

Squadron Leader

SIMONDS

Fairey Battle I

K9422

Sergeant

TALBOT

Fairey Battle I

K9452

Sergeant

POPPLESTONE

 

Public - Fairey-Battle-I-RAF-218Sqn-HAJ-K9353-with-HAB-K9324-and-HAD-K9325-over-France-1940-IWM-C447_aFairey Battle I du 218 Squadron RAF (IWM)

 

Public 63 SquadronFairey Battle I K7650 du 63 Squadron RAF en novembre 1939 (RAF)

 

Public - crew Fairey Battle, K9273 'HA-R 218 Squadron Auberive-sur-Suippes_2 (redimensionné)L’équipage du Fairey Battle I K9273 HA-R du 218 Squadron RAF (IWM)

 

Air Gunner 103 Squadron RAF 1940 avec Vickers 303 (7,7 mm)_aAir Gunner du 103 Squadron RAF avec sa mitrailleuse légère Vickers calibre 303 (IWM)

 

Le matériel et le reste du 98 Squadron embarqués sur le bateau ‘’Viking’’ quittaient Portsmouth le 15 avril 1940 à 0 h 40 pour arriver à Cherbourg à 8 h 40. Ensuite, ce fut le train quittant Cherbourg à 16 h 00 à destination de Bouguenais. Le 16 avril 1940 à 15 h 30 le Group Captain J. McCRAE, qui commandait le No 21 Aircraft Depot à Château-Bougon depuis quelques mois, accueillait ce train en gare de Bouguenais. Après 20 minutes de marche, l’aérodrome de Château-Bougon était atteint et le 98 Squadron était désormais au complet. Commandé par le Wing Commander George Reginald ASHTON, il comptait 41 officiers, 315 hommes, 16 avions Fairey Battle I et 19 véhicules.

            Le 98 Squadron dépendait directement du Headquarters A. A. S. F. (Air Advanced Striking Force) commandé par Air Marshal Patrick Henry Lyon PLAYFAIR et non du No 2 Base Area Headquarters ou du No 21 Aircraft Depot à Château-Bougon.

AIR-27-781-1_125aArchives 98 Squadron Royal Air Force

 

Le 30 avril 1940, les équipages d’avions du 98 Squadron comptaient 45 Pilots, 44 Air Observers et 9 Air Gunners, soit 98 aviateurs en tout. On ignore l’activité du 98 Squadron en mai et début juin 1940 à Château-Bougon car les archives ont été perdues mais apparemment il n’aurait participé à aucune mission de combat.

Deux informations cependant:
      Le 10 mai 1940, le Fairey Battle I K9202 VO-B fait un atterrissage forcé à 2,5 km au sud-ouest de Bourgneuf-en-Retz à 12 h 55 au retour d'un vol d’entrainement. Le P/O Arthur Kavhan ROUND (Pilot), le Sgt Thomas Guthrie Munro YOUNG (Observer) et le LAC Joseph Albert WILLS (Air Gunner) sont blessés. L'épave est récupérée par le No 21 Aircraft Depot à Château-Bougon.

Le 1er  juin 1940, le Pilot Officer Derek Myles Altamont SMYTHE est rapatrié de France en Angleterre par le P/O SHUTTLEWORTH à bord du Fairey Battle I K9452 VO.

 

EVACUATION de l’AERODROME DE CHATEAU-BOUGON 

Les avions de plusieurs Squadron 1, 73, 242, … vont transiter par l’aérodrome de Château-Bougon, base du 98 Squadron, avant de rejoindre l’Angleterre.

Voici par exemple la traduction des archives du 1 Squadron en juin 1940 :
14 juin 1940
        … À 11 heures, des ordres ont été reçus pour le déplacement immédiat du Squadron vers Nantes afin de se rendre à la No 2 Base Area. Au cours de la matinée, plusieurs avions du Squadron arrivent et partent pour Nantes. L'aérodrome était encombré d'avions divers, d'Hurricanes, de Battles, de Magisters et de plusieurs autres avions de différentes sortes, et de fréquents allers-retours furent nécessaires avant que tous les avions ne soient transférés. Le convoi principal quitta Angers pour Nantes à 13 heures et emprunta la route principale qui était complètement bloquée par les réfugiés en de nombreux endroits. Le trajet a finalement été accompli et le convoi a atteint l'aérodrome de Nantes vers 19 heures pour trouver les avions et les pilotes déjà installés sur un aérodrome où il y avait tellement d'avions que cela ressemblaient à plusieurs journées de spectacles aériens en même temps. Le convoi s'est ensuite installé dans un bois avec le 67 Wing, mais un certain nombre de véhicules étaient stationnés dans un bois un peu plus proche de l'aérodrome. L'escadrille, la maintenance et l'armurerie se dirigèrent vers l'aérodrome et commencèrent immédiatement à travailler sur plusieurs Hurricane neufs qui étaient arrivés. L'aérodrome était très encombré de voitures et d'avions qui partaient pour le Royaume-Uni à intervalles fréquents. Les avions des 73 et 242 Squadron se trouvent également sur l'aérodrome et une patrouille continue est maintenue au-dessus du port de Saint-Nazaire. Peu après la tombée de la nuit, le Squadron prend un repos bien mérité sous les étoiles du bois, mais l'aube arrive trop tôt. Le F/Lt WARCUP et le F/Lt M H BROWN (37904) sont portés disparus.

Pour information…  Le Hurricane MkI, code JX, des F/Lt Philip Edmund WARCUP et le F/Lt Mark Henry BROWN a été abattu au-dessus de St Nazaire le 14 juin 1940 alors qu’ils escortaient un navire. Le F/Lt Philip Edmund WARCUP (33294) a été fait prisonnier (Stalag Luft III). Le F/Lt Mark Henry BROWN (37904) sauta en parachute et réussit à rejoindre Brest puis l’Angleterre mais il se fera tué le 12 novembre 1941. Il était à ce moment-là Wing Commander du 249 Squadron RAF.

15 juin 1940
        La journée, bien qu'elle ait semblé très mouvementée, s'est déroulée dans le calme et a permis aux membres du Squadron de s'installer dans le bois. Tous les équipages de l'aérodrome ont eu beaucoup de travail car les avions ont fonctionné presque en continu. Tous les canons disponibles ont été dispersés dans les champs environnants pour se protéger des attaques éventuelles des parachutistes et de toute autre forme d'attaque qui aurait pu sembler imminente.

16 juin 1940
         
La matinée s'ouvrit à peu près comme la veille, mais on sentait dans l'air qu'il y aurait bientôt un autre mouvement dans une direction encore inconnue. Vers 10 heures, le Wing Commander donna l'ordre à tout le personnel disponible de partir immédiatement pour Saint-Nazaire. En conséquence, le F/Lt  BARBER et environ 250 hommes partirent en camion avec juste le matériel qu'ils pouvaient transporter vers 11 h 30, et se dirigèrent finalement vers Brest, et de là vers Plymouth. Les activités sur l'aérodrome s'intensifient et des dispositions sont prises pour que le reste de l'unité opère à partir d'un aérodrome près de La Rochelle, port à partir duquel le dernier personnel au sol doit s'échapper vers l'Angleterre. Au cours de la soirée, l'équipe au sol du 73 Squadron est arrivée, mais elle est repartie presque immédiatement pour Brest.

          Pendant la nuit, il y a eu un terrible orage et la plupart des gens ont fumé dans la matinée, plutôt humides, mais le moral était toujours au beau fixe. Les préparatifs en vue du départ pour La Rochelle se poursuivent, mais à midi, l'ordre est donné à tout le personnel au sol, à l'exception d'environ 16 personnes, de se rendre à La Rochelle pour l'embarquement, les autres devant rester sur l'aérodrome et repartir par Bombay (avion de transport) lorsque les derniers soldats de l'armée britannique auront été évacués. Le voyage jusqu'à La Rochelle se déroule sans incident notable, et à 19 heures, le groupe composé de deux officiers et de 42 hommes embarque avec environ 2000 autres troupes sur deux bateaux de transport, dont l'un est à moitié chargé de charbon. À minuit, les étranges navires ont quitté le quai tandis que les avions allemands survolaient la ville, et nous avons fait nos adieux à « La Belle France » après 9 mois et demi depuis le jour de notre arrivée en France…

                                                Squadron Leader, commanding, No 1 Squadron, Royal Air Force

 

EVACUATION DU 98 SQUADRON basé à Château-Bougon

Le 8 juin 1940 le Quartier Général de la RAF donnait l’ordre au 98 Squadron d’évacuer l’aérodrome de Château-Bougon devant l’avance rapide de l’armée allemande qui se dirigeait sur Nantes. Les Fairey Battle I quittèrent donc l’aérodrome de Château-Bougon pour se rendre en Angleterre. Le dernier avion, piloté par le Wing Commander George Reginald ASHTON qui commandait le 98 Squadron, quitta Château-Bougon le samedi 15 juin 1940 à 17 h 35.

            Le 98 Squadron abandonnait à Château-Bougon 3 Fairey Battle I qui ne pouvaient plus voler : K9201 VO-M, K9202 VO-B et le K9218 VO-J. Le Fairey Battle I K9452 VO-? est parfois compté comme ''abandonné'' à Château-Bougon mais je n’ai pas trouvé de document ou photo confirmant sa destruction et d'ailleurs il était en Angleterre le 1er juin 1940. Est-il revenu à Château-Bougon ?

De nombreux autres avions de différentes unités, y compris français, seront sabordés et abandonnés à Château-Bougon.

 

1e - Fairey Battle I K9201 VO-M ebayChâteau-Bougon - Fairey Battle I K9201 VO–M – 98 Squadron RAF

 

2a - Fairey Battle I L5462 RH-E (88Sqn) - K9202 VO (98 Sqn) - ebay

Château-Bougon – Fairey Battle I L5462 RH-E - 88 Squadron RAF

et derrière Fairey Battle I K9202 VO-B - 98 Squadron RAF.

 

3e - Fairey Battle I K9218 VO-JChâteau-Bougon - Fairey Battle I K9218 VO–J – 98 Squadron RAF

 

3f - Fairey Battle I K9218 VO-JChâteau-Bougon – Fairey Battle I K9218 VO-J - 98 Squadron RAF

 

Evacuation du 98 Squadron de l’aérodrome de Château-Bougon

Rapport du Flight Lieutenant Alexander MARTIN – TRADUCTION

SECRET

Royal Air Force Station

 

Gatwick

Monsieur,

3 juillet 1940

J'ai l'honneur de faire le rapport suivant concernant la perte du ''SS LANCASTRIA'' le 17 juin 1940 impliquant certains membres du personnel du 98 Squadron sous votre commandement.

Il est rappelé que le Squadron a reçu un ordre du Quartier général de la British Advanced Fighting Force, référence 0.484, daté du 8 juin 1940, alors que l'unité était stationnée à l'aérodrome de Château-Bougon, près de Nantes, en France. Les instructions données dans cet ordre étaient que le Squadron devait retourner au Royaume-Uni en deux phases : la première phase devait être composée d'un vol d'avions et d'un groupe avancé de personnel de maintenance, et la seconde phase devait être composée des avions restants et du reste du personnel. La première phase a été engagée et le dernier avion de la deuxième phase a quitté l'aérodrome de Château-Bougon le samedi 15 juin 1940 à 17 h 35, piloté par le Wing Commander G. R. ASHTON, AFC et Flying Officer.

            Mes instructions étaient d'être l'officier en charge de l'escorte ferroviaire et maritime principale comprenant le reste du Squadron alors parti de l'aérodrome de Château-Bougon et cette escorte était alors composée de 14 officiers et de 247 hommes.

Après votre départ, le Group Captain C. R. CARR, D.F.C, A.F.C., du Quartier général du No. 2 Base Area, m'a demandé de quitter l'aérodrome de Château-Bougon avec le groupe pour Saint-Nazaire par transport routier à 3 h 30 le dimanche 16 juin 1940.

            Ces instructions ont été exécutées, un camp de transit à Saint Nazaire ayant été atteint à environ 06 h 00, le dimanche 16 juin 1940. Sur instructions, dix chauffeurs transportant de l’essence furent alors retirés de l'effectif du Squadron et renvoyés au Quartier général du No. 2 Base Area pour y recevoir des ordres. Le groupe comptait alors 14 officiers et 237 hommes, soit un total de 251. Nous sommes le dimanche 16 juin 1940. On signale la présence d'avions ennemis dans le voisinage et, deux ou trois fois au cours de la journée de dimanche, ils survolent le camp en direction et en provenance de Saint-Nazaire, à environ huit kilomètres de là. Plusieurs centaines d'aviateurs d'autres Squadron et Quartiers généraux, ainsi que des soldats de plusieurs unités, se trouvaient dans le camp de transit et, a-t-on appris, attendaient l'ordre de se rendre aux docks de Saint-Nazaire. Aucune instruction de départ n'ayant été reçue de l'officier de contrôle des mouvements à 21 h 30, j'ai décidé de faire bivouaquer le Squadron dans un champ attenant au camp de transit afin d'obtenir le plus de repos possible. Les rations qui avaient été apportées de l'aérodrome de Château-Bougon furent à nouveau distribuées. Tous les membres du Squadron étaient vifs et joyeux. 12 officiers de l'unité se sont rendus sur les quais pour la nuit. Je suis resté avec le Flight Lieutenant CRABBE, Armament Officer, sur le terrain avec les hommes. Le Warrant Officer BRADSHAW, Engineer, et le Warrant Officer CARR étaient également présents. Les avions ennemis sont réapparus pendant la nuit et ont fait l'objet de tirs depuis Saint-Nazaire.

            À 3 h 15 du matin, le 17 juin 1940, j'ai reçu l'ordre de conduire le groupe par la route jusqu'aux docks, chaque homme devant porter son propre paquetage, tous les autres bagages devant être laissés sur place. Un groupe composé d'un officier et de 98 hommes du 67 Wings nous a été attachés pour le voyage. Nous nous sommes mis en route et avons atteint les quais à environ 8 ou 9 km de là à environ 06 h 00. Les autres officiers du Squadron nous ont rejoints vers 09 h 00.

Nous avons été transportés par bateaux depuis les docks jusqu'au ''SS Lancastria'', qui était à l'ancre à environ 15 km de la ville de Saint Nazaire, dans la baie. Le petit déjeuner fut servi à tous les grades à bord, et les aviateurs et les troupes de l'armée de l'air et de l'armée de terre continuèrent d'arriver sur le navire. Il a été rapporté qu'entre cinq et six mille soldats se trouvaient finalement à bord.

            J'ai pris contact avec les officiers et les hommes du 98 Squadron et j'ai constaté que tout le monde se portait bien. Je me suis reposé dans ma cabine à 11 heures et me suis réveillé à 14 heures. J'ai constaté qu'un autre raid aérien était en cours et que des troupes de tous rangs se pressaient dans les allées, mais qu'elles étaient en bon ordre. Des avions britanniques patrouillaient dans la région. Le raid est passé. Des rapports contradictoires circulaient quant à savoir si des bombes avaient été larguées sur les navires près de nous, dont 6 ou 7 navires et un destroyer britannique. Je suis allé déjeuner à 14 h 30, et ce repas a également été interrompu par des alertes aux raids aériens. Un officier commandant les troupes à bord ayant alors été nommé, je me rendis à la salle d'ordonnances du navire pour rendre compte de la situation de mon groupe. Je lui ai également fait part du rattachement d'unités du 67 Wing à mon groupe et il m'a demandé d'envoyer l'officier responsable de ce Wing pour lui faire un rapport la prochaine fois que je le verrai. Je suis ensuite allé à la Salle de Commandement et j'ai regagné ma cabine. En chemin, j'ai donné l'ordre à deux sergents et à un autre gradé du 98 Squadron de trouver l'officier qui, je crois, était le Flying Officer MITCHELL-SMITH. En arrivant dans ma chambre, j'ai pensé qu'il serait bon de chercher moi-même le Flying Officer SMITH et de faire faire une recherche par les autres gradés mentionnés ci-dessus ; j'ai donc quitté ma chambre et j'ai marché le long des allées. En chemin, j'ai regardé l'escalier menant à la salle à manger, puis j'ai décidé d'aller sur le pont supérieur du navire et de descendre le long du navire à la recherche du Flying Officer SMITH. Autant que je m'en souvienne, il était près de 15 h 30. C'était l'après-midi du lundi 17 juin 1940. En arrivant sur le pont supérieur, le personnel s'est précipité pour se mettre à l'abri. J'ai alors vu un avion allemand bimoteur ou trimoteur se diriger vers le bateau. Un artilleur avec un fusil-mitrailleur Bren sur le pont m'a alors demandé des chargeurs pour son arme alors qu'il tirait sur l'avion et je lui ai donné les chargeurs. L'avion allemand a alors largué deux bombes qui sont tombées dans la mer du côté bâbord du navire, à une quarantaine de mètres de celui-ci. À ce moment-là, je me souviens avoir attaché un gilet de sauvetage autour de ma poitrine et d'avoir mis un casque en acier. Il y eut une accalmie dans les tirs, mais on vit alors l'avion allemand revenir pour une nouvelle attaque. L’artilleur avec son fusil-mitrailleur Bren à mes côtés a tiré à nouveau. L'avion allemand a plongé sur le navire à environ 800 pieds (environ 850 mètres). Tous les canons du navire lui ont tiré dessus. Une forte explosion a alors été entendue sur le côté bâbord, à l'avant du pont, et il était évident que nous avions été touchés par une bombe larguée par l'avion allemand.

            J'ai vu deux canots de sauvetage remplis de troupes être descendus du côté tribord et plusieurs membres du personnel ont sauté par-dessus bord. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour aider les hommes autour de moi à quitter le navire et je suis retourné plus tard auprès de l'artilleur avec le fusil-mitrailleur Bren. Des débris, de l'eau et de la fumée nous ont alors quelque peu enveloppés sur le pont à la suite de l'explosion de la bombe. Je ne me souviens pas si l'avion ennemi est revenu à ce moment-là ou non. Il m'a semblé inutile d'essayer d'entrer en contact avec les membres de mon groupe pour assurer leur sécurité, car le navire a commencé à gîter sur bâbord, s'est redressé sur tribord, s'est redressé, puis a gîté fortement sur bâbord. Dans mes souvenirs, il me semble que tous les canons à bord ont continué à tirer sur l'ennemi jusqu'à ce que la gîte du navire sur bâbord devienne trop importante. Lorsque cela s'est produit, j'ai laissé l’artilleur avec le fusil-mitrailleur Bren à qui je donnais des chargeurs pour son arme, et j'ai saisi les cordes du radeau qui gisait sur le pont.

Avec cinq ou six autres personnes, nous avons traîné le radeau sur le pont jusqu’à la rambarde du côté bâbord du navire. Des planches de bois, des sacs de paquetage, des fusils, des boîtes de munitions et d'autres articles sur le pont nous tombaient dessus de toutes les directions. Lorsque l'eau nous a atteint la taille sur le pont et que la rambarde de bâbord a disparu sous l'eau, nous avons poussé le radeau. Quelqu'un du groupe a crié d'éloigner le radeau le plus possible du navire avant qu'il ne coule, de peur que la succion ne nous entraîne vers le fond. J'ai vu le navire glisser dans l'eau par la proue du côté bâbord. En descendant, les haubans du mât avant ont enjambé un canot de sauvetage à deux ou trois pieds devant notre radeau et l'ont coulé, avec 30 ou 40 hommes à bord. Le navire a complètement coulé, autant que je puisse l'estimer, vingt minutes après avoir été touché par la bombe. Trois ou quatre minutes après avoir quitté le navire, j'ai dû quitter le radeau parce qu'il avait coulé à cause d'un homme supplémentaire qui l'avait escaladé depuis l'eau. Très peu de temps après que le navire ait coulé, du pétrole épais est remonté à la surface de la mer. À ce moment-là, j'ai vu deux fusées éclairantes dans des boîtes en fer-blanc flotter sur l'huile et le personnel dans l'eau a crié que l'avion allemand tirait avec des mitrailleuses sur nous. Je suis resté dans l'eau pendant environ trois heures, passant d'un morceau de bois qui flottait à un autre, jusqu'à ce que, finalement, quatre hommes sur un canot de sauvetage retourné me tirent sur le canot à côté d'eux. Ensuite, un bateau à vapeur de Saint-Nazaire, le « SS Saint Christophe » de Nantes, s'est approché et nous a fait monter à bord. Après avoir repris quelques forces, nous avons tiré d'autres personnes de la mer. Puis, après avoir vérifié qu'il ne restait plus personne dans la mer, sauf des morts, nous sommes repartis pour Saint-Nazaire. Il y avait environ 50 à 60 personnes à bord du « Saint Christophe », dont deux ou trois membres du 98 Squadron.

À Saint Nazaire, nous avons été transportés par ambulance à l'hôpital de l'Ecole Saint Louis. Il était alors environ 21 heures, car très peu de temps après notre arrivée, il faisait nuit. Les Français ont été extrêmement gentils avec nous et ont fait tout ce qu'ils pouvaient. Tous les survivants étaient enduits d'une épaisse couche d'huile noire. On nous a donné du thé et du rhum et nous sommes allés nous coucher. Dans la nuit du 17 au 18 juin 1940, on entendit à nouveau les canons antiaériens de la ville tirer rapidement. Le matin, un médecin de l'armée britannique nous a conduits en ambulance jusqu'à l'un des quais et nous sommes montés à bord du « SS Robert L. Holt », depuis lequel un autre avion allemand a été vu en train de faire un raid sur la ville et la défense antiaérienne l'a de nouveau engagé. Le navire a appareillé à 11 heures le 18 juin 1940. 43 civières se trouvaient dans l'une des cales et un canon de campagne avait été embarqué. Je crois savoir que 9 officiers, dont l'A.D.M.S., et 175 hommes se trouvaient à bord du navire. Tous n'étaient pas des survivants du « SS Lancastria » mais tous étaient en train d'être évacués vers le Royaume-Uni. Dans la baie de Saint-Nazaire, un convoi de 14 navires a été formé et, sous l'escorte d'un destroyer, nous avons navigué vers le Royaume-Uni. Deux des soldats blessés sont morts sur le chemin du retour et un a été enterré en mer. Plymouth a été atteint le jeudi après-midi et j'ai été débarqué le vendredi 21 juin 1940 dans l'après-midi. L'équipage du navire nous a aidés du mieux qu'il a pu tout au long du voyage. J'ai été conduit à la station de la RAF, Mount Batten, Plymouth, on m'a donné des vêtements appropriés et on m'a ordonné de rentrer chez moi avec une permission de 48 heures. Le personnel de Mount Batten nous a également beaucoup aidés.

Six membres du 98 Squadron, dont moi-même, étaient à bord du « SS Robert L. Holt » et c'est par eux que j'ai appris que 7 autres membres du Squadron avaient été sauvés à Saint Nazaire, mais il ne m'a pas été possible, jusqu'à présent, d'obtenir une liste des autres personnes qui ont pu être sauvées.

            140 livres sterling en billets de la Banque d'Angleterre appartenant aux mess des sergents et des officiers du 98 Squadron ont été perdus sur le « SS Lancastria », ainsi que deux dossiers de correspondance secret.

            Tout le matériel personnel et l'équipement embarqués à bord ont été perdus avec le bateau.

            Je regrette qu'il ne m'ait pas été possible de faire quoi que ce soit de plus à bord pour assurer la sécurité des membres du Squadron dont j'avais la charge.

                        J'ai l'honneur, Monsieur,

                                                                                   Votre serviteur dévoué,

                                                                                   (Signé) Alexander MARTIN - 73890

                                                                                   Flight Lieutenant

                                                                                   Adjudant du 98 Squadron

Wing Commander G. R. ASHTON, A.F.C.,

Officer Commanding du 98 Squadron

Royal Air Force

 

Le 17 juin 1940 le 98 Squadron a perdu 90 hommes dans le naufrage du Lancastria.

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          Les survivants du Lancastria arrivèrent par bateaux dans plusieurs ports, comme Lossiemouth (Morayshire, Ecosse) et Plymouth,  puis retournèrent sur la base de la RAF de Gatwick (Surrey). En juillet 1940, le 98 Squadron sera reconstitué à Gatwick puis transféré fin juillet et début août 1940 sur la base RAF de Kaldadarnes en Islande avec 19 nouveaux Fairey Battle I. Le 98 Squadron sera rattaché au Coastal Command pour des patrouilles côtières et des missions de lutte anti-sous-marine.  

 

Les 19 Fairey Battle I du 98 Squadron à Kaldadarnes en Islande:

Fairey Battle I

   L5063

  Squadron Leader

SIMONDS W. S. P.

32131

Fairey Battle I

   L5066

  Sergeant

ATKINS W. E.

741156

Fairey Battle I

   L5073

  Sergeant

ALFORD H. J. G.

517978

Fairey Battle I

   L5099

  Pilot Officer

ROUND A. K.

36201

Fairey Battle I

   L5331

  Pilot Officer

DWICHT G. R.

42596

Fairey Battle I

   L5332

  Pilot Officer

DYER J. M. O.

33564

Fairey Battle I

   L5343

  Wing Commander

ASHTON G. R.

13217

Fairey Battle I

   L5412

  Pilot Officer

SHUTTLEWORTH R. A.

33548

Fairey Battle I

   L5442

  Sergeant

BROWN T. G.

700446

Fairey Battle I

   L5505

  Sergeant

BROWN F. W.

564057

Fairey Battle I

   L5547

  Sergeant

TALBOT H. J.

580186

Fairey Battle I

   L5550

  Pilot Officer

WILKINSON E. T.

42663

Fairey Battle I

   L5552

  Pilot Officer

CASTLE J.

77786

Fairey Battle I

   L5554

  Sergeant

ONIONS J.

563399

Fairey Battle I

   L5563

  Sergeant

BENDALL J.

745763

Fairey Battle I

   L5628

  Flight Officer

SNOWBALL N. A.

39350

Fairey Battle I

   N2167

  Pilot Officer

ALEXANDER J. O.

Fairey Battle I

   P2330

  Flight Lieutenant

SAVAGE F. H.

40263

Fairey Battle I

   P6570

  Sergeant

TOWNSEND F. W.

519065

Aucun Fairey Battle I de Château-Bougon n’est resté au 98 Squadron

            En Angleterre, les Fairey Battle I de Château-Bougon seront répartis dans différentes unités par exemple, le Fairey Battle I K9219 sera affecté le 13 juillet 1940 au No 9 Maintenance Unit (MU) de la RAF à Cosford et le Fairey Battle I K9422 sera affecté le 17 juillet 1940 au No 18 Maintenance Unit (MU) de la RAF à Tinwald Downs.

Après le départ du 98 Squadron, l’aérodrome de Château-Bougon sera rapidement utilisé par l’aviation allemande, la Luftwaffe, qui en fera l’une de ses bases mais c’est une autre histoire…

Aujourd’hui, l’aérodrome de Château-Bougon est devenu l’Aéroport International Nantes Atlantique.

                                                                                               René BRIDEAU, le 11 avril 2025