10/06/1994 Marcel BERTHO - Pilote Allemand Paul ROSSNER

Marcel BERTHO

Le 10 juin 1994                                                                                                       

               Monsieur BRIDEAU,

 Nous étions réfugiés, mes parents et moi, depuis le 28 février 1943 dans la maison de ma grand-mère au village de Québitre, près de La Chapelle-des-Marais, à une vingtaine de kilomètres de Saint-Nazaire, car ce 28 février, un terrible bombardement de nuit avait détruit presque entièrement la ville, destruction parachevée par les raids du 22 et 28 Mars.

 Donc ce 1er mai 1943, en fin de matinée, un nouveau raid a lieu sur Saint-Nazaire. Nous regardons au loin dans le ciel la multitude de flocons de fumée des obus de la D.C.A. allemande.

 Alors que l'attaque semble se terminer, un avion de chasse passe a faible altitude, presque au-dessus du village, venant d'une direction sud et semblant se diriger vers le nord. Nous l'avons déjà quitté du regard que, soudain, une personne s'écrie : "Regardez, un parachutiste !" Nous étions quelques personnes en spectateurs, dont mon cousin Philippe BELLIOT (Jean, de son prénom usuel). Il me lance : "Un Anglais ! Viens, on va aller le récupérer". Nous sommes partis en courant. Dans notre esprit ce ne pouvait être qu'un aviateur allié. Nous suivons des yeux la descente de notre homme et nous localisons l'endroit, en bordure de marais derrière des buissons de ronces, à environ cinq cents mètres du village. Lorsque nous l'apercevons, il marche dans l'eau à mi-cuisses en traînant son parachute.

 Nous saurons plus tard que son avion était tombé à Trélan près de La Chapelle-des-Marais.

 Nous nous dirigeons vers lui et l'interpellons : "Tommy ?" Il nous répond : "Nein Deutch !" … "M... (Merde), dit Jean. Un Boche"! Je lui réponds : "Mieux vaut un Boche de descendu qu'un Anglais". Sur ce, nous l'aidons à franchir un fossé de séparation de pré. Là c'est plus profond et il prend un bain intégral.

 Le village de Québitre est une petite île desservie par une seule route en cul de sac entourée de marais où le niveau de l'eau est maintenu au maximum du fait de la non ouverture des écluses sur le Brivet à Méan Penhouet près de Saint- Nazaire.

 Nous voici donc avec notre para. Il sent l'essence et l'huile. Il a un gros hématome au-dessus de l'oœil et semble un peu groggy mais valide. Il a un gros pistolet à la hanche. Je crois que c'est un lance-fusée. Nous le ramenons vers le village en le soutenant, un de chaque côté. Il se laisse faire.

 Arrivés à la maison de ma grand-mère, nous l'asseyons dans une chaise. Une dizaine de minutes se sont écoulées lorsque qu'arrive à vive allure un cycliste, un soldat Allemand. Il a posé son vélo contre le mur, a sorti une arme et est entré. Pas de chance pour lui c'était un compatriote, ce para. Presque aussitôt est aussi arrivée une auto, avec trois ou quatre gradés. Ils sont entrés et je suppose qu'ils ont interrogé notre pilote.

 C'est à cet instant, alors que nous étions à l'extérieur de la maison, qu'est intervenue ma cousine Emilienne MICAU, 25 ans, habitant Angers. Elle était venue passer quelques jours chez notre grand-mère : "Dite donc les gars, il va falloir profiter de l'occasion pour demander une récompense. Il faut leur dire que sans vous il se noyait. Et comme récompense, il faut demander le retour d'un prisonnier, ça ne leur coûtera pas cher".

 De fait, nous avions un parent commun prisonnier c'était l'oncle de Jean et cousin germain de mon père. Il se nomme Joseph Thoby.

 Sur ce, elle nous dit de nous asperger d'eau pour faire plus vrai. Nous nous versons le contenu de deux seaux d'eau. Nous sommes trempés de la tête aux pieds. Nos militaires sortent enfin. Ma cousine les interpelle, il faut dire qu'elle n'a pas froid aux yeux. Elle nous désigne, tout trempés, et engage la conversation avec un des officiers qui parle le Français. Celui-ci parait admettre le bien fondé de la demande mais il précise : "Tout çà ne dépend pas de moi, il faudrait voir cela avec le commandement de l'aviateur. Venez à la Kommandantur de La Chapelle-des-Marais, nous vous ferons un laissez passer pour pouvoir entrer au camp de Meucon à Vannes, base dont dépend le pilote".

 Le lendemain, nous nous sommes rendus à La Chapelle-des-Marais. L'officier de la veille était présent. Il nous dit, railleur : "Vous venez chercher votre récompense ?" et il nous a remis un "Ausweiss" pour pouvoir nous présenter à Meucon. Dans le texte en Allemand, je crois me souvenir que le nom du pilote était ortographié comme suit, quelque chose comme : off. RoBner (officier RoBner, Rossner).

 Le lendemain, nous partons pour Ponchâteau prendre le train que nous ratons. À l'époque, les trains n'étaient pas nombreux. Jean me dit : "Alors, que fait-on ? On se lance en vélo?" Ce que nous faisons. Jean a 18 ans, je viens d'en avoir 17. Ça ne nous effraie pas.

 Nous arrivons le soir à Vannes où nous couchons à "L'Hôtel du Cheval Blanc". Le lendemain matin, départ pour Meucon distant d'une dizaine de kilomètres, toujours à vélo. Nous arrivons au terrain d'aviation. Contrairement à mon copain, je commence à avoir la trouille en envisageant notre confrontation avec ces aviateurs. J'arrive quand même à me conforter en me disant que les apparences jouaient en notre faveur.

 Nous arrivons à une barrière, genre passage à niveau, poste de garde, où nous présentons notre "AUSWEISS". On nous fait entrer au poste de garde. Un soldat prend le téléphone et nous fait signe d'attendre. Un très long moment s'écoule. Je trouve le temps long, long. Enfin un planton arrive et nous fait signe de le suivre. Nous arrivons au commandement de l'escadrille, je crois me souvenir que sur la porte de la pièce dans laquelle on nous a introduit était indiqué "C  PHILIPPE". Un jeune officier était assis à son bureau. Il nous a remerçié pour le "sauvetage" de son pilote. Il nous a demandé de lui expliquer notre requête, ce que nous avons fait : la libération de notre parent prisonnier en Allemagne. Il s'est alors installé au téléphone et a eu une très longue conversation avec un interlocuteur inconnu, ponctuée d'un nombre impressionnant de "JA WOLH" (Oui ! Parfaitement !).

 Dans l'intervalle, une personne a frappé à la porte, c'était notre pilote. Sa bosse à l'oeil avait diminué, il nous a salué et entre son chef et lui s’est engagée une conversation dont j'ignore le contenu. Je n'étais pas très fier. Allait-il contester notre version des faits ? Après les renseignements sur l'identé de notre prisonnier, numéro de Stalag, etc... on nous a donné congé. Le pilote est venu nous reconduire au poste de garde.

 Nous avons pu savoir, par le langage gestuel et les quelques mots que nous connaissions que c'était la première fois qu'il était abattu, que son avion était un Focke Wulf 190, qu'il avait 23 ans et que les B17 étaient fortement armés (les Forteresses Volantes). Nous avons quitté notre pilote au poste de garde. Il nous a serré la main, dit merçi et nous avons repris nos vélos.

 Plusieurs semaines après cette aventure, nous avons reçu une convocation pour nous rendre à la Kommandantur de Nantes. Un officier supérieur nous a reçu et nous a tenu ces propos : "Pour bénéficier de la faveur que vous demandez, il faut avoir mis sa vie en danger, toutefois une demande sera transmise au QG ; ce pourrait être une permission de captivité. Vous verrez". Nous étions déçus, les Allemands ont pratiqué, en certaines occasions, ce genre d’arrangement, pour les moissons entre autre. Mais les bénéficiaires étaient obligés de réintégrer leur Stalag, la durée écoulée.

 Près de six mois se sont écoulés. Nous avions presque oublié notre aventure de mai lorsqu'un soir de début octobre, en descendant du petit train à La Chapelle-des-Marais, de retour du travail, j'apprends que notre prisonnier Joseph Thoby est de retour, libéré définitif. Ses camarades de captivité le seront, eux, vingt mois plus tard.

 J'ai réfléchi depuis sur cette histoire, un coup de bluff qui s'est bien terminé. Le scénario au pied levé de ma cousine, le culot de mon cousin Jean un peu aventurier et au bluff persuasif. Le comportement de l'aviateur qui n'a apparemment pas contesté les faits. En avait-il un souvenir précis, il était un peu groggy. Les Allemands ont-ils voulu en faire un sujet de propagande ? Rien n'est paru dans la maigre presse régionale, Ouest-Eclair et Le Phare. Peut-être l'ont-ils fait ailleurs ?

 Quand au pilote que nous avons récupéré, le contact que nous avons eu à Meucon nous a montré un personnage, je dirais sympatique, loin du comportement arrogant de certains jeunes nazis, peut-être un homme tout simplement.

 Si vous désirez d'autres précisions je me ferais un plaisir de vous les fournir.

 Marcel  BERTHO.