11/03/1985 Thérèse GUILLOU - Lettre au fils du 2Lt Harry ROACH

Madame Thérèse GUILLOU

Le  11 Mars 1985.

 Cher Monsieur,

 Je m’appelle Thérèse GUILLOU, mais mon nom de jeune fille est MORICEAU. En 1943, j’habitais à “La Grenouillère“ à Saint-Michel-Chef-Chef et j’avais 10 ans.

 Le 1er Mai 1943 j’étais à garder mes moutons toute seule dans un champ très près d’où est tombé votre père et j’aurai dû être la première sur place.

 J’étais à garder mes moutons dès le matin de bonne heure, lorsqu’un bombardier apparut entouré d’avions allemands. Les avions et les canons tiraient dans tous les sens et cela faisait du bruit. Tout à coup le bombardier explosa et j’ai vu des parachutes descendre. J’ai eu à ce moment là très très peur, j’ai pris mes jambes à mon cou et j’ai couru vers la maison. Dans le chemin, j’ai rencontré Pierre BRIDEAU qui menait ses vaches aux champs. Je lui ai dit : «Regarde, regarde» ! Il me répondit : «Je vais aller voir» ! Il avait un baton dans les mains, une fourche sur son épaule et son chien du nom de Pernod. Je le laissai et continuai mon chemin vers la maison.

 Je suis arrivée à “La Grenouillère“ et je suis entré dans la première maison que je connaissais chez Louis LEGE. Juste au moment d’entrer dans la maison une balle siffla et vint se planter dans le sol tout près de moi. Il y avait là le gendarme RENOUX de Saint-Brévin qui venait chercher son beurre.

Lorsque tout a été plus calme et que l’on entendait presque plus rien mon père me dit : «Il faut que l’on retourne voir où sont les moutons». Nous sommes donc partis tous les deux vers le champ où étaient resté les moutons. Aux carrefour de la route Chauvé, Saint-Michel-L’Aiguillon, il était environ 11 h 30 à 11 h 45 nous avons rencontré votre père et avons aperçu un peu plus loin Clément BRIDEAU que nous connaissions bien.

 Papa s’est avancé vers votre père, lui a serré la main et lui a dit : «Bonne route». Votre père se faisait comprendre par geste mais moi je ne me suis pas avancée car je n’étais pas rassurée du tout. Mon père, ancien prisonnier de guerre en Autriche, était libéré depuis à peine quinze jours et il avait été libéré car il avait trois enfants et savait donc ce que c’était.

 Votre père était en civil. J’ai été tellement marqué par cet événement que je le revois encore. Je me rappelle surtout de sa chemisette (chemise blanche à manches courtes). Je ne pense pas qu’il avait retroussé ses manches et c’était donc une chemisette de couleur claire. Il avait également un foulard autour du cou. J’ai tout de suite pensé, et mon père également, que c’était une chemisette à Clément ou à Pierre, je ne sais pas. Ce qui me surprenait également c’est qu’il avait une chemisette et un foulard autour du cou ce qui n’allait pas ensemble. Ce jour-là il faisait très beau. Il avait également une pelle sur son épaule. Cette pelle, je pense, a dû être laissée vers le petit pont sur la route de «La Baconnière», mais ça je n’en suis pas sûre. C’est ce que j’ai entendu dire. Votre père avait également des souliers qui brillaient, et mon père a pensé qu’il aurait peut être mieux valu qu’il ait d’autres chaussures car ils étaient trop beaux. Je ne me rappelle pas du tout de son pantalon, il en avait pourtant un bien sûr. Puis il est parti vers la direction qui lui avait été indiquée , vers «La Baconnière».

 On est allé retrouver Clément qui nous attendait au bout du chemin. Il nous a dit qu’il venait de «L’Aiguillon» avec votre père et qu’il l’avait déshabillé là-bas dans le verger. Je vois très bien ce verger et il me semble que je me rappellerai encore de cet endroit qu’il nous a montré plus tard. Ensuite, Clément est reparti chez lui et nous sommes partis chercher les moutons.

 Voilà ce que je peux dire sur cet événement. Je n’ai rien fait, ni mon père, car lorsque nous avons rencontré votre père il était déjà prêt pour la route. Mon père est mort il y a 4 ans et demi. C’est dommage ! Mais il vous aurait dit la même chose.

 Pour moi j’ai eu très peur ce jour-là. On me parle de Lucien ANDRE, mais jamais ma famille n’a entendu parler de lui dans cette affaire, ni pendant, ni après la guerre.

 À mon avis, si Clément n’avait pas été là, les choses se serait beaucoup plus mal passées pour votre père.

 On me parle aussi du gilet de sauvetage. Paul DURAND dit qu’il était avec Fernand MORICEAU lorsqu’il a trouvé ce gilet. Fernand est mon frère mais il vaudrait mieux lui en parler.

 Je suis contente d’apporter ce témoignage. Ma peur m’aura servi à me souvenir de cet événement. Dans mon récit, j’ai essayé de décrire les événements avec précision, enfin d’être sincère et de dire la vérité.

 En vous souhaitant à vous et à votre famille une bonne et heureuse année 1985, veuillez agréer, Monsieur, mes sincères salutations.

                                                                                   Thérèse GUILLOU