13/04/1986 Gendarme Jean SARRAZIN - 2Lt John NEILL

Monsieur Jean SARRAZIN

Le 13 Avril 1986

                        Monsieur BRIDEAU

 Le 1er Mai 1943, j'avais 31 ans et j'étais gendarme à la brigade de PORNIC.

La brigade était composée de:

- Adjudant : Jean DELSART, (décédé).

- Maréchal des logis chef : Jean FOUASSON (décédé, tué par les Allemands).

- Gendarme : Abel GOUY, (décédé).

- Gendarme : Pierre CHENE, (décédé).

- Gendarme : Louis LE RIDANT, (décédé).

- Gendarme : Jean TENDRON, (décédé).

- Gendarme : Auguste MOREAU, (décédé).

- Et moi-même, Jean SARRAZIN

 Nous étions trois à ne pas habiter la gendarmerie : Pierre CHENE, Abel GOUY et moi-même. Moi, j'habitais très près de la gendarmerie, à environ une cinquantaine de mètres. À la gendarmerie, il n'y avait pas de permanence de nuit, la porte était fermée à clef et celle-ci enlevée de la serrure afin que les gendarmes de l'extérieur puissent y entrer à toute heure. Si quelqu'un sonnait à la porte la nuit, le gendarme chargé d'aller ouvrir se levait et allait voir ce qui se passait. D'autre part, il n'y avait pas d'unité allemande à la gendarmerie de PORNIC.

 Le 1er. mai 1943, j'étais chez moi lorsque j'ai vu l'avion exploser en vol. Je ne me rappelle pas très bien de cette journée. Par contre, je me souviens bien du 2 Mai 1943. Ce matin-là, comme d'habitude, j'allais prendre mon poste à la gendarmerie. En arrivant à côté de la grille d'entrée j'ai été interpellé, à ma grande surprise, par deux sentinelles allemandes. J'étais pourtant en uniforme mais j'ai dû montrer mes papiers. En traversant la petite cour, j'ai constaté que la gendarmerie était occupée par environ une trentaine de soldats allemands (une section). Ils avaient pris le logement sur la droite de la gendarmerie (bâtiment principal en face). J'ai monté les quelques marches et suis entré dans la gendarmerie pour aller voir mes collègues qui avaient leur bureau sur la gauche.

 En regardant dans la pièce d'en face, j'ai aperçu un homme entouré de soldats allemands. Je suis entré voir ce qui se passait. L'homme était assis, vêtu d'un pantalon bleu trop court et d'un genre de gabardine (manteau imperméable). Il était complètement écroulé, abasourdi (étourdi), choqué. Les soldats Allemands étaient nombreux autour de lui avec un "Feldwebel" (sergent). Les Allemands le prenaient pour un terroriste et étaient très excités après lui. Ils essayaient de le faire parler. À la façon dont les Allemands l'interrogeaient, moi j'avais peur pour lui car je me demandais comment celà allait se terminer. Ils ne plaisantaient pas.

 Je me suis adressé à l’homme pour lui demander ce qu'il faisait là. Il s'est levé lentement et avec peine ; il devait beaucoup souffrir. Je croyais qu'il n’en finirait jamais de se redresser car il était très grand (1,90 mètre ou plus). Une fois debout, il étendit les bras et "fit l'avion" en disant quelque chose comme "Lieutenant Américain". Il voulait me faire comprendre qu'il était aviateur. WOLF, qui commandait les Allemands et les recherches, entra (dans la pièce). Il comprenait et parlait très bien le Français. Je peux dire que WOLF, en d'autres circonstances, a évité pas mal de problèmes dans la région. Il faisait son travail. Je m'adressais tout de suite à lui et lui dit :"Ce n'est pas un terroriste mais un officier aviateur américain". WOLF réfléchit un court instant, puis se mit au "garde-à-vous" (salua militairement l'officier américain) et donna des ordres. Tous les soldats se sont calmés et ne dirent plus rien. Puis ils emmenèrent cet homme à la " Kommandantur ", sur le Quai LERAY (sur le port), et les Allemands quittèrent la Gendarmerie.

 Voilà ce que je peux dire aujourd'hui sur cette histoire. Au cas où vous auriez besoin d'autres renseignements, n’hésitez pas.

                                                                                  Jean SARRAZIN.