10/07/1987 Jean LERAY - Lettre au fils du 2Lt Harry ROACH
Monsieur Jean LERAY
Le 10 Juillet 1987.
Cher Monsieur,
Lorsque j’ai lu dans les journaux que c’était Clément BRIDEAU qui avait secouru votre père, je ne fus pas du tout surpris car je connaissais bien cette histoire.
En1943, j’avais 18 ans et j’habitais le village de “La Haute Aiguillon“. J’étais donc voisin de Clément BRIDEAU et nous étions très souvent ensemble.
Le Matin du 1er mai 1943, j’étais justement à couper du bois avec Clément dans ce qu’on appelle “Le Bois de L’Aiguillon“. C’était à cette époque un bois important car il s’étendait sur plusieurs hectares. Nous étions à travailler tous les deux lorsque brusquement des coups de canons et des bruits d’avions se firent entendre. Mais on ne voyait rien car notre vue était masquée par des arbres. On sortit du bois en courant jusqu’à la clairière à côté des grands sapins et à notre grande surprise, on vit descendre trois parachutes. On apprit par la suite qu’il y en avait un quatrième mais on ne l’a pas vu sur le moment, peut être était-il plus loin ou était-il masquée par les arbres. Les parachutistes descendaient toujours et n’étaient plus très hauts. Nous les suivions des yeux lorsque, tout à coup, l’un d’eux, c’était votre père, tomba pas très loin de nous à travers les arbres. On ne l’a pas vu tomber sur le sol, toujours à cause des arbres. On se précipita à la barrière du champ. Votre père était tombé dans l’endroit le plus étroit d’un pré bordé de grands arbres et c’est vraiment par miracle qu’il les a évités. On entendait de loin circuler des side-cars allemands sur les routes avoisinantes.
Aussitôt quelque chose me préoccupa beaucoup. Les Allemands risquaient de fouiller les maisons pour retrouver ces parachutistes. Chez mes parents, deux fusils de chasse avaient simplement été mis sur une armoire, au lieu d’avoir été donnés à la mairie comme l’avaient exigé les autorités allemandes. Bien sûr, on aurait dû les cacher plus tôt mais à cet instant précis le temps pressait. Je décidai donc de prévenir mes parents de les cacher tout de suite. En partant, je dis à Clément qui connaissait l’existence de ces fusils : “je préviens le père pour les fusils et je reviens aussitôt“. Mais déjà Clément courait vers votre père, lui enlevait les harnais de son parachute et l’aidait à se déshabiller comme il pouvait. Je les laissai tous les deux et je ne vis personne d’autres sur les lieux à ce moment-là. J’appris plus tard que Pierre, le frère de Clément, était venu les rejoindre dans le chemin quelques instants après mon départ.
Je courus jusqu’à la maison familiale de “La Haute Aiguillon“ et en arrivant je dis à mon père : “Avec ce qu’il vient d’arriver, il faut absolument cacher les fusils tout de suite“. Pour la petite histoire, les deux fusils - il y avait un tout neuf et un fusil à broches - furent graissés, enveloppés dans une couverture et enterrés. Malheureusement, lorsqu’on les déterra après la guerre, ils étaient pourris et donc inutilisables. Je laissais mon père s’occuper des fusils et je repartis aussitôt en courant vers le point de chute où étaient Clément et votre père pour les aider. J’ai mis environ un quart d’heure pour faire l’aller retour mais lorsque j’arrivai dans le pré : plus de Clément, plus de parachutiste, plus personne. Tout c’était donc déroulé très vite. Alors je suis revenu à la maison familiale.
Le Midi j’allai chez Clément à “L’Aiguillon“, mais votre père était parti. L’histoire était terminée. Dans les jours qui suivirent, Clément me raconta ce qui c’était passé après mon départ du pré. Il avait amené tout seul votre père tout près de la ferme de ses parents et après que votre père ait été réconforté par la famille BRIDEAU et PASGRIMAUD, il avait été conduit en civil à travers les chemins puis sur la route. Tous les deux sur la route, ils ont croisé un side-car allemand qui, heureusement, ne s’est pas arrêté. Un soir, Clément m’emmena dans un champ près d’un chêne creux et en sortit l’arme de votre père. Je ne me rappelle plus du modèle, mais ce dont je suis sûr c’est que c’était un pistolet avec un chargeur. Il me dit : “Tu vois, s’il m’arrive quelque chose, c’est là“. Pour s’être confié à moi, je me suis toujours demandé si le reste de sa famille savait ou il avait caché cette arme. Il m’a laissé entendre qu’il ne la laisserait pas là à cause de l’hiver et il l’a enlevé de cette cachette par la suite. J’ai vu aussi le parachute, il était caché dans le grenier de “L’Aiguillon“ au fond d’une barrique qui était debout avec de l’avoine par-dessus, le tout fermé par un couvercle de bois amovible. Votre père avait laissé tout son équipement militaire à “L’Aiguillon“ et tout cela n’était pas facile à cacher. Lucien ANDRE était un voisin également mais je n’ai jamais entendu parler de lui dans cette histoire.
Une semaine plus tard, à environ 1500 mètres du point de chute, je trouvai par hasard une trousse de couleur verte. Sur celle-ci était marqué clairement “Harry ROACH“. Ce nom m’est resté gravé dans la mémoire jusqu’à aujourd’hui. J’ignorais à ce moment-là que celle-ci appartenait au même parachutiste que Clément avait secouru. Cette trousse avait quatre compartiments avec des rabats et deux étaient encore fermés. A l’intérieur, il y avait trois papiers de la grandeur de pièces d’identité. Je crois même que sur l’un d’eux il y avait une photo mais je n’en suis pas sûr. Ces papiers étaient au nom de Harry ROACH mais je ne comprenais pas ce qui était écrit ensuite. Il y avait aussi une petite bouteille plate en verre. Elle était vide et sans étiquette. J’ai pensé que ce devait être une sorte de trousse de secours et que chaque membre de l’équipage devait en avoir une marquée à son nom. Je ramenais cette trousse à la maison et la montrai à mes parents qui n’étaient pas tranquilles.
Quelques mois plus tard, alors que j’avais les papiers du parachutiste sur moi, je ne sais pour quelles raisons, j’étais au “Café des Voyageurs“ à Saint-Michel-Chef-Chef en train de les montrer à la patronne Madame MABILEAU. Juste à cet instant, trois soldats allemands entrèrent dans le café. Madame MABILEAU eut très peur et nous changeâmes de conversations. Puis elle me conseilla vivement de jeter les papiers dans le feu de la cheminée toute proche, ce que je fis discrètement. C’était la fin des papiers de Harry ROACH. La trousse, je l’ai gardée au moins dix ans et peut être est-elle encore par-là mais j’ignore où.
À la fin de la guerre, beaucoup de personnes savaient que Clément et sa famille étaient pour quelque chose dans le sauvetage de ce parachutiste. Ce sont des nouvelles qui se transmettent vite avec d’ailleurs plus ou moins d’exactitude. Néanmoins pour une toute autre histoire, Clément et sa famille ne recherchèrent pas ce qu’était devenu votre père.
Puis les années passèrent …. Et on en parla de moins en moins. Le destin a voulu que Clément ne revoit jamais votre père et il a fallut attendre votre retour quarante et un ans plus tard pour que l’on reparle de cette histoire qui s’est déroulée pendant ma jeunesse et que bien sûr je n’oublierai jamais.
Voilà ce que je peux dire sur cet événement du 1er mai 1943. J’espère avoir été assez clair et précis. Si vous avez besoin d’autres renseignements, vous pouvez m’écrire, bien sûr. Je vous adresse, Monsieur, mes sincères salutations.
Jean LERAY