20/05/1985 Constant PACAUD - 2Lt David PARKER, Otages
Monsieur Constant PACAUD
Le 20 Mai 1985
Monsieur BRIDEAU,
Je m'appelle Constant PACAUD. Le 1er mai 1943, j'étais à travailler dans un champ avec mes boeufs lorsque j'entendis un ronronnement au-dessus de ma tête. Une forteresse américaine était attaquée par des chasseurs allemands. Les chasseurs mitraillaient tout autour et mon chien "Tommy" courait après les balles qui sifflaient au sol. Moi je me suis abrité sous une tête de chêne. Un grand morceau de ferraille tomba parmi mes vaches et cela faisait beaucoup de bruit. Je vis des parachutistes descendre. Je suis revenu à la maison dételer mes boeufs. C'est alors que j'ai vu beaucoup de gens rassemblés au coin d'une croix sur la route de PORNIC. Je suis allé voir mais l'Américain (John NEILL) n'était plus là et les gens se dispersaient. Je suis parti à travers champs voir où était passé un autre parachutiste (David PARKER). J'ai trouvé son parachute dans une haie à demi-caché. Je le cachai plus près de la maison et rentrai chez moi.
Dans le début de l'après-midi, j'étais au carrefour de La Baconnière à discuter lorsque les Allemands sont arrivés et m'ont pris en otage. Il y avait avec moi, le père ALLAIS âgé d'à peu près 80 ans [c'est Joseph ALLAIS cité plus loin né le 4 Mai 1880], Henri GLAUD, Julien MOURAUD, Pierre PORCHER, Jean MICHELOT, Michel MAILLARD et sa femme (Constance PICOT), Joseph ALLAIS (de La Baconnière), Joseph MARIOT. De tous ces otages, il ne reste aujourd'hui que Joseph MARIOT et moi de vivants. Ils nous ont emmenés en camion à la gendarmerie de PORNIC. Ils ont séparé Michel MAILLARD de sa femme et ils pleuraient tous les deux. Michel MAILLARD et sa femme avaient donné à un Américain (John NEILL) du pain, du beurre, du sucre et du chocolat, ce sont eux-mêmes qui me l'ont dit.
Ensuite ils nous ont interrogés un par un. C'étaient des "Feldgendarmes" allemands avec WOLF, ils avaient une chaîne autour du cou. Ils nous prenaient par le col de chemise, nous secouaient et nous posaient des tas de questions : "Où étiez-vous ? Qui avez-vous rencontré ? Etc...". Nous avons la nuit à la gendarmerie de PORNIC. Nous étions très inquiets sur notre sort, surtout qu'ils nous avaient dit : "Si nous ne les trouvons pas, le village brûlera ". Le lendemain, ils nous ont posé d'autres questions : "Qui a donné cette gabardine (manteau imperméable) à l'Américain ? " (John NEILL devait avoir été capturé). Puis voyant qu'ils n’apprendraient rien de plus, ils nous ont libérés. Nous sommes revenus en charrette à La Baconnière.
Lorsque nous étions interrogés, il y avait là un civil français qui avait pris le blouson de l'Américain. Pendant que j'étais interrogé, cet homme mangeait une tartine de confiture et je lui dis : " Toi, tu es bien vu de la maison " ! J’ai demandé la même chose pour nous et les Allemands m’ont répondu : "On va faire ". Je pense que ce civil faisait partie de la famille COSSET de NANTES et je pense que son prénom était Henri mais je n'en suis pas sûr (Monsieur Camille CHOLLET m'a dit que l'homme en civil qui était venu chez lui avec WOLF portait un blouson américain et il pense qu'il faisait partie de la famille COSSE ou COSSET de La Mossardière, c'était un cousin ou un neveu de cette famille de NANTES mais il n'en est pas sûr).
Le surlendemain, le lundi, il m'a fallu me rendre à GOURMALON dans une maison particulière. Là, des Allemands en civil avec des chapeaux mous m'ont interrogé. Ils me posaient des questions contradictoires pour essayer de me faire tromper puis voyant qu'ils n’apprenaient rien de plus, ils m'ont libéré. Le village a été fouillé et surveillé par la suite pendant plusieurs mois. Le parachute (de David PARKER) s'abîmait dehors. Je suis allé le chercher et ma femme l'a lavé. Nous l'avons étendu dans un champ derrière pour le faire sécher. Mais plus le temps passait, plus il était encombrant. Nous ne savions pas quoi en faire car pour faire des chemises d'hommes il y aurait eu beaucoup de chutes et de travail. Ce n'était pas facile à utiliser avec tous les biais. Un jour nous avons décidé de le brûler. Nous avons fait cuire des pommes de terre la nuit, puis nous avons mis le parachute dans le feu. Il a mis longtemps à brûler et cela sentait. Enfin heureusement personne ne s'est aperçu de rien.
Voilà, j'étais content de vous rencontrer ainsi que votre femme, car le 1er mai 1943 c'est un épisode de ma vie qui m'a beaucoup marqué.
Constant PACAUD (92 ans en 1995 lors de mon dernier entretien)