27/09/2013 Joseph BICHON - Crash B17
Mémoire de la famille Louis Bichon du Pé à Saint-Père-en-Retz
à propos de la chute du B17 des Morandières le 1er mai 1943.
Année de mes 16 ans - Joseph BICHON
Enfermés dans la guerre depuis septembre 1939, ce samedi 1er mai 1943 était pour nous une journée comme les autres. Ce jour-là nous étions en famille, occupés aux travaux de la ferme dans un champ appelé « Les quatre chemins », au sud de la route de Saint-Michel à Saint-Père, face au village du Pé. Tout à coup retentirent, comme très souvent en 1943, le hurlement des sirènes se relayant : elles annonçaient l’arrivé des avions venant bombarder la base sous-marine de Saint-Nazaire. C’était exceptionnel en plein jour car les bombardements avaient lieu plutôt la nuit et particulièrement les nuits sans lune ; les avions venaient de la mer, entraient sur le continent par les côtes vendéennes, puis longeaient la côte en retrait de quelques kilomètres pour contourner les fortifications côtières.
Mais en ce jour du 1er mai 1943, les forteresses volantes sont venues de l’est et en plein jour, survolant le bourg de Saint-Père-en-Retz, puis la vallée du Boivre en direction de la base sous-marine de Saint-Nazaire.
Prévenus par le hurlement des sirènes, nous avons scruté le ciel pour savoir d’où venaient les avions, guidés par le bruit irrégulier des moteurs. Nous avons enfin aperçu les forteresses volantes, en escadrilles à très haute altitude, un peu comme des oies sauvages, suivant invariablement leur route au milieu des panaches de fumée provoqués par l’éclatement des obus de l’artillerie anti-aérienne des Allemands. On apercevait par intermittence les chasseurs ennemis briller au soleil. Nous ne les avons plus quitté des yeux. Qu’allait-il se passer ?
On vit alors une des forteresses volantes, décrochée en queue d’escadrille et perdant de l’altitude. Attaquée par l’artillerie et les avions de chasse allemands, elle laissait des traînées de fumée derrière elle.
C’est dans ce vacarme infernal de bruit des moteurs d’avions, de hurlement des sirènes, de canons et de mitrailleuses des chasseurs allemands, puis bientôt de la déflagration des bombes sur la base sous-marine de Saint-Nazaire, que trois parachutistes sont sortis de l’appareil en difficulté. Une fois en chute libre, leurs parachutes se sont ouverts, au moment même où la forteresse volante éclatait en plein vol. En mille morceaux ! Un véritable nuage de ferraille et d’objets de toutes sortes dans le ciel au-dessus de nos têtes. Et au milieu, quatre parachutistes ! Pourquoi quatre et non plus trois ? On apprit plus tard que le bombardier Parker ayant été assommé au moment de l’explosion, puis « libéré » en chute libre, bientôt réveillé par l’air froid, était parvenu à déclencher son parachute. Tous les quatre ont donc atterri plus au sud, emportés par le vent du côté de Chanteloup et de
Un des quatre aviateurs dont le parachute devait être détérioré est descendu à vive allure. Son cou rentré dans les épaules le faisait souffrir ; secouru par un jeune homme du pays, il lui demanda de tirer sur sa tête pour le sortir de cette douloureuse position.
Les morceaux les plus lourds, comme les quatre moteurs en feu, sont tombés à pic, mais d’autres grandes pièces comme les ailes ont tenu longtemps dans le ciel au-dessus de nos têtes, avec de formidables volte-face et de sinistres sifflements affolant les témoins avant d’atteindre le sol sans faire heureusement aucune victime civile. Pour notre part, nous n’étions pas fiers, tremblants de peur, réfugiés sous un chêne, protection bien illusoire. Par chance, la troisième partie des ailes passa au-dessus de nos têtes pour atterrir près du village de l’Aiguillon.
Tout le secteur a aussitôt été cerné par les Allemands circulant sur leurs motos à la recherche des parachutistes américains. Ce n’était pas le moment pour nous de faire du zèle. Par la suite, dans un périmètre s’étendant entre le village des Morandières et celui de l’Aiguillon en Saint-Michel, de nombreux éléments ont été retrouvés dont la chaussure rembourrée de David Parker arrachée lors du choc provoqué par l’ouverture de son parachute, par la suite les grosses pièces du B17 ont été emmenées par les Allemands.
Sur les dix membres de l’équipage, six ont trouvé la mort, et leurs corps ont été emmenés par les Allemands pour être enterrés au cimetière du Pont du Cens à Nantes. Parmi les quatre rescapés, un seul a pu rejoindre l’Angleterre grâce à l’aide des habitant du Pays de Retz ; les trois autres sont restés prisonniers jusqu’à la fin de la guerre.
Les Péréziens sont venu nombreux sur les lieux du crash pour voir les restes impressionnants du B17, mais aussi pour honorer avec respect les jeunes aviateurs couchés à même le sol. Ils étaient notre espérance au plus profond de la guerre, nos alliés, nos défenseurs à jamais endormis pour notre liberté.
Joseph BICHON, ASBL, le 27 septembre 2013