HISTOIRE - René BRIDEAU

"Black Swan"
 La fin du B-17F 42-5780 GN-N

Résumé des recherches faites par Harry ROACH et René BRIDEAU
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 Au matin du 1er mai 1943 vers 9 h30, dix-neuf bombardiers B17, appelés aussi "forteresses volantes", décollaient de la base de Molesworth en Angleterre. Tous appartenaient au 303rd Bomb Group répartis en trois Squadrons, les 359, 360 et 427ème. Le B-17F 42-5483 Red Ass piloté par le lieutenant Ralph Jr. HAYES, avait eu des problèmes techniques l’obligeant à abandonner la mission. L'un des B17 du 427th Squadron, Black Swan (d'où vient ce nom !), était piloté par le lieutenant Jay STERLING ; il comprenait dix membres d'équipage et portait le N° 42-5780. Black Swan avait décollé avec un petit bruit anormal du moteur N° 3, annonçant de graves conséquences sur son destin final. Ces avions allaient rejoindre en altitude vingt B17 du 91st Bomb Group ayant décollé de Bassingbourn, vingt-et-un du 305th ayant décollé de Chelveston, et dix-huit du 306th ayant décollé de Thurleigh.

B-17F

B17 42-5780

EQUIPAGE DU B-17F ''Black Swan''

Per sterling jay
Per neill john
Per roach harry
Per parker david
1Lt Jay R. STERLING
Pilot
25 ans - Tué
2Lt John L. NEILL
Co-Pilot
25 ans - Prisonnier
2Lt Harry E. Jr. ROACH
Navigator
22 ans - Evadé
2Lt David H. PARKER
Bombardier
25 ans - Prisonnier
Per fields harley
Per griffin powell
Per mccormack ar
Per whalon william
T/Sgt Harley W. FIELDS
Radio Operator
20 ans -  Tué
T/Sgt Powell E. GRIFFIN
Engineer /                
           Top Turret Gunner
25 ans - Prisonnier
S/Sgt Arthur R.                 
                  McCORMACK
Ball Turret Gunner
31 ans - Tué
S/Sgt William R.                  
                          WHALON
Left Waist Gunner
23 ans -  Tué
 
Per cashman daniel
Per cleavelin jesse
 
 
S/Sgt Daniel J. CASHMAN
Right Waist Gunner
20 ans -  Tué
S/Sgt Jessie C. CLEAVELIN
Tail Gunner
23 ans -  Tué
 

L'équipage de Jay STERLING avait effectué une première mission de bombardement le 16 avril 1943 sur la base sous-marine de Lorient avec le B-17F 41-24610 Joe Btfsplk, puis une deuxième, le 17 avril, sur l'usine d'avions Focke-Wulf à Brême en Allemagne, avec le B-17F 41-24587 Bad Check. Ce 1er mai 1943, c'était la 3ème mission de l'équipage, sauf pour Arthur Mc CORMACK (2ème mission) et William WHALON (4ème mission). Quant au B17 Black Swan, arrivé au 427th Squadron du 303rd Bomb Group le 8 Avril 1943, il avait effectué sa première mission sur Brême, le 17 avril 1943, avec l'équipage du lieutenant Jacques CHESTER.

Black Swan, qui transportait deux bombes d'environ une tonne chacune, rejoignit avec sa formation les autres groupes à un point de rendez-vous. La formation comptait alors soixante-dix-huit bombardiers dont le dernier était piloté par Jay STERLING. Chacun était concentré sur ses tâches de bord, mais les aviateurs éprouvaient une certaine inquiétude car l'objectif de ce 1er mai 1943 était la base sous-marine de Saint-Nazaire, et chacun savait que certains équipages ne rentreraient pas vivants en Angleterre. Ils avaient d'ailleurs surnommés Saint-Nazaire Flak City, et c'était avec raison.

Base saint nazaire hauteur

 En mai 1943, la défense anti-aérienne allemande (FLAK) de la base sous-marine de Saint-Nazaire, qui abritait la 6ème et 7ème flottille de sous-marins allemands, était confiée à la 5ème brigade de FLAK de la Kriegsmarine. Cette brigade commandée par le Kapitän zur See Karl-Conrad MECKE, était composée de plusieurs bataillons d'artillerie. Au nord de la Loire, on trouvait le 703ème et le 705ème bataillons de FLAK lourde, ainsi que le 820ème bataillon de FLAK légère (dont une batterie au sud).

Au sud de la Loire, en Pays de Retz, c'était le 809ème bataillon de FLAK lourde qui était chargé de la défense anti-aérienne, avec ses sept batteries dont une de projecteurs (7ème compagnie). Toutes ces batteries comprenaient environ 80 canons de calibre 105 mm dont la cadence de tir était de 12 à 15 coups à la minute. À la fin de l'année 1943, ces bataillons seront renforcés par quelques canons plus modernes de "12,8 cm FLAK 40", comme ceux de Mindin à Saint Brévin (6ème batterie Koralle 809 Marine-FLAK) face à Saint-Nazaire, que le Maréchal Erwin ROMMEL viendra visiter en avril 1944. On comprend mieux le surnom de Flak City donné à Saint-Nazaire par les aviateurs américains.

L'autre danger important était la chasse Allemande, la Luftwaffe. En mai 1943, la défense aérienne de la Bretagne était confiée au "Gruppe III./JG 2 Richthofen" commandé par le Hauptmann Egon MAYER. Ce pilote de chasse abattra officiellement 102 avions dont 25 bombardiers quadrimoteurs mais il se fera tuer en mars 1944 dans un combat aérien. Le 1er mai 1943, Egon MAYER avait sous ses ordres trois escadrilles : la 7./JG 2 commandée par l'Oberleutnant Ottfried PHILIP, la 9./JG 2 commandée par l'Oberleutnant Josef WURMHELLER, toutes les deux basées à Vannes (Meucon), et la 8./JG 2 commandée par l'Oberleutnant Bruno STOLLE, basée à Brest (Guipavas). Les avions étaient des Focke-Wulf 190 équipés de mitrailleuses et de canons de 20 mm.

À 10 h 26, la formation quitta l’Angleterre par Portland Bill. En traversant la Manche, à trois quart d'heure de la cible, le moteur N° 3 de Black Swan devenait de plus en plus défaillant et l’avion perdait de la vitesse. Le B17 avançant péniblement s'efforçait de garder l'allure de l'escadrille. La formation survolait Saint-Brieuc à 10 h 54 et Châteaubriant à 11 h 11. Au-dessus de Carquefou, près de Nantes, à 11 h 17, les soixante-dix-huit B17 firent un virage important vers l'ouest pour s'aligner vers la base sous-marine de Saint-Nazaire et effectuer l’approche finale pour le bombardement. Après Saint-Etienne-de-Montluc, la cible était proche, mais à l’altitude de 22700 pieds (environ 6920 mètres) le ciel était bouché et il y avait beaucoup de nuages au-dessus de l'objectif.

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Les radars allemands avaient bien sûr détecté la vague de bombardiers, et la 5ème brigade de FLAK de la Kriegsmarine était en alerte maximum dans la région de Saint-Nazaire. D'autre part, vingt-et-un avions de la chasse allemande du "Gruppe III /JG 2 Richthofen" avaient déjà décollé des bases de Vannes (Meucon) et Brest (Guipavas) pour intercepter la formation de B17.

Après le changement de cap au-dessus de Carquefou, la formation dut affronter un violent vent contraire et le moteur N° 3 de Black Swan ne parvenait plus à garder son régime. À quelques minutes de la cible, l’appareil, incapable de se maintenir dans la formation, commença à descendre, décrochant lentement mais inexorablement de plusieurs centaines de mètres. Tous les équipages de bombardiers redoutaient cette situation, car le B17 devenait alors une proie facile.

 La FLAK avait ouvert le feu depuis quelques minutes, envoyant une pluie d'obus de 105 mm dont les éclats traversaient la mince tôle d'aluminium des avions. À bord du Black Swan, l'interphone venait d’annoncer une autre menace : ''Bandits à 2 heures''. La chasse allemande venait d’attaquer, s’en prenant d’abord aux avions isolés, à la mitrailleuse et au canon de 20 mm. Le moteur N°3 du Black Swan en feu avait cessé de fonctionner et l'hélice était en ''drapeau''. Jay STERLING ordonna à David PARKER de larguer les deux bombes d'une tonne pour alléger l'avion; elles tombèrent dans un champ au village du Landreau, à Saint-Père-en-Retz, provoquant d'énormes cratères mais sans blesser personne.

Les chasseurs allemands attaquèrent alors Black Swan de tous côtés, leurs mitrailleuses et canons de 20 mm entaillant le fuselage, allumant des feux et blessant les aviateurs. Les mitrailleurs, Daniel CASHMAN, William WHALON, Arthur McCORMACK, Powell GRIFFIN et Jessie CLEAVELIN se défendaient avec acharnement. Lors de sa dernière mission sur Brême, Jessie CLEAVELIN avait maintenu à distance les avions allemands et abattu un Focke-Wulf 190, mais aujourd'hui le B17 était seul. Soudain, un avion allemand fondit vers la tourelle supérieure, Powell GRIFFIN ajusta ses deux mitrailleuses jumelées de calibre 50 (12,7 mm) et réussit à atteindre le chasseur qui s’éloigna dans un sillage de fumée.

Le pilote de la 7./JG 2, Paul ROSSNER, comprenant qu’il ne pourrait pas atteindre sa base de Vannes, sauta en parachute. Son Focke-Wulf 190 poursuivant son vol, s'écrasa à Trélan, près de La Chapelle-des-Marais. Marcel BERTHO (témoignage) et son cousin Philippe BELLIOT n’ayant pas prêté attention à l’avion mais voyant un parachute descendre étaient persuadés que c'était un aviateur ''anglais''. Ils se précipitèrent pour le secourir dans les marais de Québitre où il pouvait se noyer, mais alors qu’ils dirigeaient vers l’aviateur et l'interpellaient : "Tommy ?", celui-ci répondit : "Nein Deutch !" L’Unteroffizier Paul ROSSNER, 24 ans, se ferait tuer à la fin de ce mois, le 29 mai 1943, dans un autre combat aérien.

Carte trajet b17 black swan 1À bord du Black Swan, le système électrique et l'interphone ne répondaient plus. Les explosions d'obus avaient détruit la radio ; le tableau de bord commençait à fumer avant d’exploser en flammes, remplissant rapidement l’avant de l'avion de fumée toxique. Le pilote, Jay STERLING, s'effondrait sur son siège tandis que son avion piquait du nez avec un autre moteur en feu. C'était l'enfer dans le bombardier et le B17 allait inévitablement s'écraser. Plus qu'une seule chose à faire pour les aviateurs qui le pouvaient encore : sauter en parachute.

Harry ROACH ouvrit avec difficulté la trappe qui se trouvait près de lui et sauta le premier, suivi par Powell GRIFFIN. Harley FIELDS sautait au même moment par la trappe de la soute à bombe. John NEILL voyant Jay STERLING effondré et inconscient sur son siège le traîna et le poussa au dehors par la trappe de la soute à bombe, espérant que s’il était encore vivant il reprendrait ses esprits à plus basse altitude et tirerait sur la corde déclenchant l'ouverture de son parachute. Malheureusement ce ne serait pas le cas ! David PARKER, toujours dans le nez du B17, continuait d'utiliser la mitrailleuse Browning de calibre 50 pour tenir à distance les chasseurs. Il n'y avait aucun signe de vie des autres aviateurs qui étaient peut-être déjà morts.

 David PARKER résolut alors de sauter en parachute, ainsi que John NEILL qui se trouvait déjà devant la trappe de la soute à bombes, mais Black Swan fit alors de nombreux soubresauts et plongea vers le sol à grande vitesse. La force centrifuge maintenait David PARKER prisonnier du nez du B17 tandis que John NEILL était plaqué contre les parois. Dans quelques secondes ils allaient mourir tous les deux.

 C’est à ce moment que le pilote allemand, Rudolf GEHRHARDT, de la 9./JG 2, atteignait d’un obus de 20 mm les réservoirs du B17 encore à 5000 m d’altitude. Une énorme explosion projeta alors des milliers de morceaux de l’avion dans le ciel. Soudainement, John NEILL et David PARKER se trouvèrent eux-mêmes projetés dans le vide, mais ils eurent le temps de reprendre leurs esprits et de déclencher l’ouverture de leur parachute. Au même moment, une aile du B17 qui planait faucha le parachute d'Harley FIELDS, le heurtant à la tête et le tuant sur le coup. L'explosion venait de sauver deux vies mais d’en prendre une autre.

 L'Unteroffizier Rudolf GEHRHARDT, 23 ans, indiqua sur sa carte codée de la Luftwaffe : "1124 UHR 1 BOEING FORTRESS ROEM ZWEI IN QU.14 W/3883 AUF LAND", ce qui correspond exactement aux coordonnées du village des Morandieres sur la commune de Saint-Père-en-Retz. Ce sera le seul avion abattu par Rudolf Friedrich GEHRHARDT car il sera grièvement blessé dans un autre combat aérien quinze jours plus tard, près de Vannes, le 17 mai 1943 (Rudolf GEHRHARDT est mort le 4 janvier 1987 à Erlangen en Allemagne). L’Oberleutnant Josef WURMHELLER, 25 ans, chef d’escadrille de la 9./JG2, qui venait de participer au combat, allait mitrailler aussi le B17 41-24610 Joe Btfsplk qui allait s’abattre six minutes plus tard entre Noirmoutier et Belle-Ile en Mer.

 Au sol, des centaines de personnes assistaient, impuissantes, à ce combat aérien. D’innombrables morceaux tombaient maintenant du ciel, éparpillés sur des centaines de mètres. Les habitants qui étaient en dessous cherchaient un abri illusoire en maîtrisant au mieux leur frayeur. On pourrait citer le témoignage de dizaines de personnes, comme Joseph BICHON (témoignage), Charles BAUD, Maurice LANDRY, Louis BARTEAU, Georges MARIOT, Anselme LEDUC, et beaucoup d’autres qui se souviendrons toute leur vie de cette tragique journée.

Anselme leduc tr

 Pendant que les deux ailes tombaient en tournoyant, les quatre moteurs qui s’étaient détachées du fuselage s’écrasaient directement au sol. La cabine de pilotage du B17 tomba à 70 mètres derrière la maison de Joseph BADEAU, tandis que la plus grande partie du fuselage s’écrasait dans un champ, à quelques mètres de Marcel et Eugène BICHON, cachés dans un fossé.

Georges mariot t Le B17 était tombé à environ 170 mètres de la maison de Michel VALLEE (témoignage) aux Morandières sur la commune de Saint-Père-en-Retz. Michel VALLEE fut l’un des premiers arrivés sur les lieux mais tous les aviateurs étaient morts. À l’arrière de l’avion se trouvaient trois aviateurs : les S/Sgt Daniel CASHMAN, Arthur McCORMACK et William WHALON. L’un d’eux était étendu sur le sol, et son parachute, qui s’était ouvert, était accroché au fuselage. Michel VALLEE se dirigea vers la queue de l’avion et aperçut à travers le plexiglas le mitrailleur de queue, le S/Sgt Jessie CLEAVELIN, assis sur son siège devant ses mitrailleuses jumelées. Le corps du lieutenant Jay STERLING fut découvert à 250 mètres du B17, derrière la maison de Joseph BADEAU, à trois mètres de la haie du jardin. Un peu plus tard, le corps d’un 6ème aviateur, le S/Sgt Harley FIELDS, était retrouvé dans un champ de blé à 600 mètres du B17. Annette GARNIER (témoignage) déposa des fleurs sur le corps de ce jeune aviateur de 20 ans. Anselme LEDUC (frère du célèbre aviateur René LEDUC), accompagné de Maurice LANDRY, prit discrètement quelques photos. Plus tard, d’autres photos seront prises par Georges MARIOT.

Auguste BICHON et Robert MOURAUD de Vieillevigne, cachés derrière une haie, regardaient les soldats allemands déposer les six corps dans des cercueils, à l’endroit même où se trouve aujourd’hui la stèle. Auguste BICHON précise que les soldats allemands avaient été dignes et corrects. Les aviateurs furent emmenés au cimetière du Pont du Cens à Nantes et enterrés le 4 mai 1943, avant d’être exhumés le 15 Mars 1945 pour rejoindre d’autres cimetières : Jessie CLEAVELIN et Arthur Mc CORMACK, vers celui Saint James (Brittany American Cemetery) dans la Manche, les quatre autres dépouilles étant transférées par leurs familles dans des cimetières aux USA. 

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Maintenant, les quatre aviateurs survivants, Harry ROACH, Powell GRIFFIN, John NEILL et David PARKER, descendaient en parachute vers la terre de France. Quel serait leur destin ? Les Français suivaient des yeux ces parachutistes mais les soldats Allemands commençaient déjà à se rendre vers les lieux de chute présumés pour les capturer.

 Le sergent Powell GRIFFIN, tombé dans un champ près de la ferme de la Gensonnière, n'était pas aller très loin. En effet, gravement blessé aux jambes et brûlé au visage et aux mains, il fut transporté sur une civière par Paul GAUTIER et André MELLERIN (témoignage), en compagnie notamment d'Albert FOUCHER (témoignage), Pierre GAUTIER et René MELLERIN, à la ferme de la Basse Bosse. Le docteur Pierre MARGAT (témoignage) de Pornic, réquisitionné par les Allemands, diagnostiqua rapidement ses blessures et donna les premiers soins. Pour lui, c’était l’hôpital… Avant le camp de prisonnier (Stalag XVII) qui l'attendait en Autriche.

 Mariot joseph tLe lieutenant John NEILL tomba près du village de la Baconnière, à proximité de la route. Sa tête ayant subi un choc violent lors de l'ouverture de son parachute, John NEILL avait une difficulté évidente à bouger son cou, mais il fut secouru par Joseph MARIOT et Julien MOURAUD (témoignage) qui réussirent à soulager sa douleur. Le point de chute étant situé près de la route de Saint-Père-en-Retz à Pornic, plusieurs Français arrivèrent rapidement sur les lieux dont Camille CHOLLET (témoignage). Un peu plus tard, l’aviateur se cacha dans une haie. Il fut ravitaillé en fin d'après-midi par Michel MAILLARD, de la ferme de la Sévrie, qui lui donna un morceau de pain et une bouteille de vin. Malgré ses blessures, John NEILL parcourut plusieurs kilomètres, en partie en charrette, et gagna Pornic dans la nuit. Il fut fait prisonnier par les allemands au matin du 2 mai 1943 à la gendarmerie de Pornic où se trouvait notamment le gendarme Jean SARRAZIN (témoignage) et où il subit un premier interrogatoire. Après avoir été soigné, John NEILL fut envoyé dans un camp de prisonniers à Sagan (Stalag Luft III).

 Le lieutenant David PARKER tomba près du village de la Baconnière et fut repéré par Constant PACAUD (témoignage). David PARKER, qui n'était pas blessé, se cacha jusqu'au matin du 2 mai. À l'aube, mouillé et complètement endolori, il décida de s'approcher de la ferme de la Sévrie qu'il apercevait au loin. Joseph ALLAIS qui se tenait devant la porte lui permit d'entrer. Quelques minutes plus tard, alors que l’aviateur séchait ses vêtements devant le fourneau et était réconforté par la famille ALLAIS, deux policiers allemands entraient soudainement pour l’arrêter. Un collaborateur avait vu cet Américain entré dans la maison des ALLAIS et avait prévenu les Allemands. Julien MOURAUD TAucune rétorsion ne fut prise contre la famille ALLAIS mais leur ferme fut surveillée pendant longtemps. David PARKER fut alors emmené en voiture. Pour lui aussi, la guerre était finie. Comme John NEILL, il fut envoyé aussi au Stalag Luft III, camp devenu très célèbre grâce au film "La Grande Evasion".

Dans l'après-midi du 1er mai, ne retrouvant pas tous les aviateurs, l'Oberleutnant WOLF commandant la Feldgendarmerie de Pornic avait ordonné de prendre 10 otages du village de la Baconnière et des fermes voisines. Pierre PORCHER, Henri GLAUD, Michel MAILLARD et sa femme Constance PICOT, Constant PACAUD (témoignage), Julien MOURAUD, Jean MICHELOT, Joseph ALLAIS, Julien RENAUD (réfugié) et Joseph MARIOT furent donc conduits à la gendarmerie de Pornic et interrogés par les Allemands durant une partie de la nuit. Néanmoins, après que NEILL et PARKER aient été faits prisonniers, ils allaient être tous libérés le dimanche soir 2 mai, à leur grand soulagement.

Clément BRIDEAU et Jean LERAY (lettre adressée au fils d’Harry ROACH) étaient à couper du bois lorsque le Lieutenant Harry ROACH tomba, pas très loin d'eux, dans un petit pré bordé de grands arbres. Clément se précipita pour l'aider car son parachute commençait à l’entraîner. Son frère, Pierre BRIDEAU, qui menait ses vaches aux champs, apparut aussitôt pour l'aider lui aussi. Harry ROACH était tombé dans un champ assez loin d'une route et il avait eu beaucoup de chance car son parachute ne s’était pas accroché aux arbres. Harry ne savait dire en Français que ces seuls mots : "Camarades, Vive la France". Mais il ne fallait pas traîner car les Allemands avaient vu eux aussi descendre les parachutes et l'endroit était dangereux. De surcroît, était installé près de la ferme BRIDEAU, un projecteur allemand de 150 (1,50 mètre de diamètre), appartenant à la 7ème compagnie du 809 Marine-FLAK, avec plusieurs soldats. Tandis que Pierre rassemblait ses vaches éparpillées, Clément BRIDEAU emmenait à travers champs le lieutenant Harry ROACH à la ferme familiale de la Basse-Aiguillon, sur la commune de Saint-Michel-Chef-Chef.Brideau clementt

 Clément laissa Harry ROACH dans le chemin, près de la ferme, pour aller prévenir sa famille qu’il avait ramené un aviateur. Sa mère, Clémentine, avait levé les bras au ciel : "Mais il va tous nous faire tuer ! Et les soldats Allemands du projecteur qui sont à quelques centaines de mètres ! ". Il était bien vrai que l’aide à un aviateur était très dangereux et même sévèrement puni par les autorités allemandes. Clément ajouta : "L’aviateur est blessé au visage et au dos et il n’a pas mangé". L’effet de surprise passé, Clémentine n’hésita pas une seconde, cherchant aussitôt des pansements et préparant à manger pour cet invité inattendu.

 Pendant ce temps, Harry, qui attendait dans le chemin, vit arriver vers lui Lucien ANDRE, un voisin de la famille BRIDEAU. Croyant avoir à faire à un membre de la famille de son sauveur, Harry sortit une lettre de sa poche et la donna à Lucien. Juste à ce moment, passait en vélo sur la route le Leutnant BRUNO, du 809 Marine-FLAK, 7ème compagnie (projecteurs). BRUNO mis pied à terre, fit signe à l’aviateur de ne pas rester là et de s’éloigner rapidement, puis reprit son chemin ! Evidemment cela peut paraître surprenant, mais BRUNO était un agent secret allié qui donnait des informations à Londres concernant la base sous-marine de Saint-Nazaire. Il reviendra dans la région en officier allié à la Libération en 1945. Quelques semaines plus tard, Lucien ne sachant que faire de la lettre d’Harry la brûla dans sa cheminée.

  Suzanne pasgrimaud t1Les familles BRIDEAU (Pierre, Clémentine, Pierre fils, Clément) et PASGRIMAUD (Auguste, Augustine) emmenèrent alors Harry ROACH dans le verger, derrière un petit champ de seigle. On commença par le débarrasser de tout son équipement militaire qui était conséquent car il faisait très froid dans les B17 : gilet de sauvetage, harnais du parachute, combinaison chauffante, bottes de vol, casque en cuir, ceinturon, veste d’aviateur (Modèle A2), son insigne d’officier sur son col de chemise, sa chemise, etc…

  Plus tard, on confectionna avec le parachute une robe en soie pour une cousine, la petite Suzanne PASGRIMAUD, âgée de 7 ans. Elle porta cette robe, avec son petit sac en soie, à la communion de son frère à Saint-Michel-Chef-Chef, pendant l'Occupation, en mai 1944. Ce n’était pas vraiment prudent car un soldat allemand aurait pu remarquer cette soie de parachute.

Harry garda son pantalon marron, ses chaussures, sa ceinture et son foulard d’aviateur en soie, mais Clément le dota d’une chemise blanche pour lui donner une allure civile. Puis, après qu’elle ait soigné sa blessure au visage et la douleur de son dos, Clémentine donna à l’aviateur de la nourriture et du vin.

 Harry ROACH prit alors la route accompagné par Clément BRIDEAU. Ils croisèrent un side-car allemand qui fort heureusement ne s’arrêta pas… En effet, Harry ne parlait pas Français.

  Ils rencontrèrent en chemin Léon MORICEAU et sa fille Thérèse (lettre adressée au fils d’Harry ROACH) de la Grenouillère, une ferme voisine que Clément connaissait bien. Après une brève discussion et un au revoir chaleureux, Harry se dirigea seul vers le village de la Baconnière. Malgré la pelle sur l’épaule et l’écharpe autour du cou, Thérèse remarqua qu'il était trop bien habillé pour passer inaperçu.

  Après avoir parcouru environ 800 mètres, Harry aperçut un jeune garçon, Joseph MONNIER, qui était déjà la douzième personne rencontrée depuis son atterrissage. Joseph l’emmena chez lui à la ferme familiale de la Cochardière. Là aussi il fut réconforté et on lui changea ses vêtements avec l'aide des voisins, Eugène DURAND du Petit-Pas et M. BOITIER de la Bâte, mais cette fois-ci pour l’habiller en haillons. Pendant que le fugitif essayait ses nouveaux vêtements, une patrouille Allemande en side-car se faisait entendre en bas de la route, face à la ferme. Harry se cacha sous le lit, mais heureusement, le side-car passa son chemin.

Jean baptiste serot trL’aviateur fut ensuite ramené près du village de la Baconnière par le père MONNIER d’où il repartit seul en direction de Chauvé, petite ville distante de 7,5 km, qu'il atteignit le soir même de ce 1er mai. Dans le bourg de Chauvé, il fut remarqué, sans doute par son allure et ses vêtements, par l'instituteur Antoine TRIGODET qui l'emmena au presbytère. Antoine TRIGODET frappa à la porte de la cuisine et demanda à Marie SEROT et Jean PEROUSSE où se trouvait le curé SEROT. La chance était avec Harry car le curé Jean-Baptiste SEROT faisait partie d'un réseau de résistance. Le réseau fut activé et, avec l'aide de Madame Pol MICHAUD de Pornic, au matin du 4 mai 1943, il quittait le Pays de Retz en bicyclette en direction de la ville de Legé.

  Harry ROACH rejoignit alors Agen au soir du 8 mai, où il rencontra M. et Mme Jean THIBAUT et le père Patrick KELLY. Le 2 juin, il traversait les Pyrénées en compagnie de Jean SOUM, après de multiples péripéties. En Espagne, ce fut ensuite Esterri de Aneu, Lerida, Madrid et Gibraltar. Le 29 Juin 1943 il était à Bristol en Angleterre et le 4 Juillet il rejoignait ses camarades à sa base de Molesworth !

  Ce 1er mai 1943, sur les soixante-dix-huit bombardiers, seulement vingt-neuf avaient lâché leurs bombes car le ciel était obscurci par les nuages au-dessus de la base sous-marine – aucune de ces bombes n’ayant atteint sa cible. Sept B17 (liste des B17) furent abattus : six en mer et un sur terre (42-5780 et Black Swan). La formation rentra en Angleterre en enregistrant 73 aviateurs américains officiellement portés disparus en action (tués, prisonniers ou évadés). À bord des carlingues des B17 revenus à leur base, on releva 18 blessés et 2 tués. Un seul membre d’équipage avait réussi à s'évader : le lieutenant Harry ROACH, 44ème aviateur à rejoindre l'Angleterre.

  Sur les vingt-et-un avions de la Luftwaffe, deux Focke-Wulf 190 avaient été abattus. L’Unteroffizier Paul RUMPLER, âgé de 23 ans, de la 8./JG 2, qui s'écrasa en mer entre 80 et 100 km au nord-ouest de Brest avec son FW 190 A-5 (N° de fabrication 2685), fut le seul pilote allemand tué dans ce combat aérien.

  Que devinrent les quatre aviateurs survivants ?

  - Le Lieutenant Harry ROACH (navigateur), continua sa carrière dans l'armée américaine comme pilote. Malheureusement, il trouva la mort en 1954 aux commandes de son avion en approchant la piste d'atterrissage de Sioux City, la ville où était né Jay STERLING.

 - Le S/Sgt Powell GRIFFIN (mécanicien, mitrailleur tourelle supérieure) est décédé en 1967.

 - Le Lieutenant David PARKER (bombardier) est décédé en 1989.

 - Le Lieutenant John NEILL (co-pilote) est décédé en 2007.

  Le 14 octobre1984, la municipalité de Saint-Père-en-Retz, dont le maire était à l'époque M. Jean CHARRIER, fut la première à honorer la mémoire de ces aviateurs en installant une stèle au village des Morandières. Un panneau historique sera inauguré le 2 mai 2014 auprès de la stèle, dans le cadre du Chemin de la mémoire 39-45 en Pays de Retz. Ce panneau comportera les photos des aviateurs ainsi qu’un récit de leur dernière mission.

  Depuis 1984 la grande majorité des très nombreux témoins que j’ai pu rencontrer en France, ainsi que Harry ROACH aux USA, sont décédés : Américains, Français, Allemands, Irlandais, etc…. Il semble impossible aujourd’hui de collecter de nouveaux témoignages permettant de compléter ce récit.

 N’oublions pas ces aviateurs venus de si loin et morts pour notre liberté. Mais trouverons-nous les mots pour les remercier ?

                                                                                                    René BRIDEAU